Le monde diplomatique =>décembre 2001
citation :
On pourrait prendre les Aventures de Harry Potter pour une sorte de conte de fées moderne enveloppé par l’emballage publicitaire, made in USA, d’un Halloween de convention. Mais, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de contes de fées - et dans le monde balisé des Pokémons ou de Tintin -, il est systématiquement impossible ici au héros de décider de la signification précise, amicale ou hostile, bénéfique ou maléfique, des gestes et des attitudes des personnages qu’il croise. Autrement dit, les personnages ne sont jamais clairement situés du côté du Bien ou du Mal. Or une telle trame narrative, qui n’est pas celle du conte, n’est pas non plus sans antécédent. Son modèle est celui... du mythe du Graal.
Ce mythe n’est spécifique d’aucune culture. Il en a traversé plusieurs - notamment indo-européenne, celte et chrétienne. Au-delà de ses multiples variantes, les récits qui s’en inspirent mettent en scène des objets et des situations caractéristiques communes (2). Or on en trouve cinq au moins dans les Aventures de Harry Potter : l’utilisation d’armes bien particulières, le « cerf » comme animal emblématique, l’épreuve du « baiser », le rôle du chaudron donneur de vie, et enfin l’importance du stigmate comme témoin d’un destin exceptionnel.
Tout d’abord, les épées et les lances utilisées dans la quête du Graal sont d’un genre très spécial. Elles ont pour caractéristique de pouvoir, selon les cas, tuer ou soigner celui vers lequel elles sont pointées. C’est exactement ce que l’on retrouve dans Harry Potter, sauf qu’il s’agit de baguettes magiques qui peuvent tuer ou soigner selon les intentions de celui qui les manipule.
Ensuite, dans le mythe du Graal, l’animal « cerf » joue un rôle essentiel. De la même façon, dans Harry Potter, le cerf est l’animal emblématique du père du héros : c’est en cerf qu’il avait l’habitude de se métamorphoser pour se cacher quand il était jeune et c’est sous cette apparence qu’il apparaît après sa mort à son fils pour le sauver.
La troisième analogie avec le mythe du Graal est l’épreuve dite du « baiser ». Cette épreuve apparaît dans le deuxième acte de Parsifal où le héros découvre que le baiser de Kundry - qui est un personnage à la fois maléfique et bénéfique - est la véritable arme de la blessure. De la même façon, dans Harry Potter, les « Détraqueurs » travaillant pour le pénitencier d’Azkaban imposent aux sorciers criminels un baiser meurtrier qui aspire littéralement leur âme.
Le quatrième élément commun est le chaudron. Ce récipient où se concocte la recette de l’immortalité résonne avec le calice eucharistique de la mythologie chrétienne. Dans le quatrième tome de ses Aventures, Harry, lancé à la recherche d’une « coupe de feu », est détourné vers un cimetière où une cérémonie est organisée autour d’un chaudron. Il s’y trouve obligé de donner un peu son sang pour permettre la résurrection de son ennemi mortel, l’allié du Dieu des ténèbres, Lord Valdemor. En participant ainsi à la boisson d’immortalité, le sang de Harry Potter devient l’équivalent de celui du Christ capable d’assurer « la vie éternelle » à travers le mystère de la communion, de telle façon que Harry lui-même incarne le Saint Graal, autrement dit le « calice de la vie éternelle » contenant le sang du Christ recueilli au pied de la croix ! Avec les jeux vidéo, l’adolescent se familiarise avec l’idée d’être une sorte de Dieu le Père dirigeant et éduquant ses créatures, comme dans le jeu vidéo Populous. Ici, il est invité à s’identifier à Dieu le Fils !
D’ailleurs, Harry Potter porte sur le front une cicatrice qui est à la fois la trace de la tentative de mise à mort qu’il a subie lorsqu’il était bébé et la preuve de sa résurrection. Son père et sa mère, qui étaient parmi les sorciers les plus puissants, en effet ont été assassinés par Lord Valdemor, et Harry Potter est sorti vivant de cette épreuve après avoir mystérieusement traversé l’obscurité mortelle. Cette cicatrice évoque l’expression « être marqué au front » qu’on emploie pour désigner un élu, mais elle évoque aussi les stigmates que le Christ porte aux pieds et aux mains. Harry Potter est en ce sens un personnage qui se situe dans la tradition christique : mis à mort, ressuscité, et enfin porteur d’une plaie visible qui atteste son destin exceptionnel.
Loin d’être une sorte de conte de fées, les Aventures de Harry Potter sont une version moderne du mythe du Graal. Leur auteure en est-elle consciente ? Il y a trop de coïncidences pour que ce rapprochement soit fortuit. Mais il est difficile d’analyser dans quelle mesure cette référence contribue à leur succès, même si les jeux de rôle ont suffisamment familiarisé les adolescents avec les thèmes développés dans la mythologie du Graal pour que ceux-ci leur parlent lorsqu’ils les retrouvent dans Harry Potter.